CET ARTICLE A ÉTÉ RÉDIGÉ PAR JEAN-PIERRE BERNIER

Aurora, Ontario

RÉPONSE PERTINENTE À MONSIEUR DE PONTCHARTRAIN – Grâce à la téléinformatique et à l’infographie le «Vieux Fort Amérindien» d’Aurora au cœur de l’ancien pays des Hurons-Wendats vient donner à la Nouvelle-France un fil inaccoutumé de son histoire.

D’entrée de jeu, il importe de savoir que dans les années 1720, Monsieur de Pontchartrain, ministre français de la Marine et des Colonies sous le règne de Louis XIV, semblait préoccupé par l’apparition du mot Toronto sur la rive septentrionale du lac Ontario en regard d’un raccourci pour atteindre le haut des «Grands Lacs» sans passer par «Le Détroit». Antoine de la Mothe Cadillac répondit à la préoccupation du ministre en lui écrivant dans une lettre «Toronto est une terre ferme dans le fond du lac des Hurons qui aboutit dans celui d’Ontario».

À l’ère électronique, les membres de la Première Nation huronne-wendat nous rappellent (car nous vivons ensemble sans se connaître) que leur chez-soi (Wendake) dans les «Pays d’en Haut» était un vaste territoire surnommé la «Huronie» par les jeunes «François-Canadois … qui courent dans les bois comme des Sauvages» au dire de Mère Marie de l’Incarnation.

⚜️Toronto au pays des Hurons-Wendats avant 1650

Le pays des Hurons (une expression exclusivement française) se trouvait au sud-est du lac Huron et rejoignait les rives du lac Ontario. Alors qu’ils ont habité la Huronie jusqu’en 1650, les Hurons s’appelaient «Wendats», signifiant «les gens de la péninsule». Ils étaient semi-sédentaires vivant, parmi les pins blancs, de l’agriculture, de la chasse, de la pêche, et de la cueillette des petits fruits. Bien avant la visite de Samuel de Champlain en 1615 (qui se rendit jusqu’au village de Cahiagué sur les bords du lac Oventarenk), les Hurons-Wendats trafiquaient abondamment avec les peuples avoisinants faisant usage du «passage des trois lacs» au bout duquel Toronto se situe aujourd’hui.

La carte ci-dessous, non signée mais dressée à partir de 1631 par le père jésuite (saint) Jean de Brébeuf et intitulée «Description du pays des Hurons» (en vieux français) fait montre du territoire. On peut y voir les trois lacs, c’est-à-dire le lac Huron au nord, le lac Oventarenk (devenu Taronto puis Simcoe) au centre, et le lac Ontario au sud. Dans la zone septentrionale du pays, sur la péninsule, apparaissent quelques villages où les Jésuites y établirent une mission donnant à chaque bourgade un nom français, comme Sainte-Cécile, Saint-Michel, Saint-Denis, et Sainte-Élizabeth (sûrement en hommage au catholicisme pour suivre l’air du temps). Selon les missionnaires, les Hurons-Wendats étaient répartis dans une trentaine de communautés environ, certaines peuplées de 3500 habitants et plus. Sachez qu’au milieu des années 1630, ce peuple autochtone est devenu l’un des plus gros fournisseurs de fourrure en Nouvelle-France.

Au cour des récentes décennies des recherches archéologiques effectuées par l’Université de Toronto dans la zone méridionale du pays en question ont confirmé la présence d’une grande ville huronne-wendat hautement fortifiée et englobant une cinquantaine de maisons longues. Elle fut surnommée le «Vieux Fort Amérindien» d’Aurora. D’autres fouilles ont mis à jour des villages hurons-wendats à Pickering (ville voisine de Toronto) et à Whitchurch-Stouffville (ville voisine d’Aurora).

⚜️«Les Piquets», nom du vieux fort sur les plaines d’Aurora

Aurora se situe sur le sentier du portage entre la rivière Holland et la rivière Humber et a sûrement servi de relais pour les coureurs des bois venus de la vallée du Saint-Laurent qui empruntaient le «passage des trois lacs». Sur la carte du moine franciscain Vincenzo Coronelli de 1688 (situant les forts de la Nouvelle-France), «Les Piquets», signifiant selon LAROUSSE pieux pointus fichés solidement en terre, y est inscrit à l’emplacement du «Vieux Fort Amérindien» d’Aurora. Chose certaine, ce vieux fort (une structure abstraite aujourd’hui) dans les plaines d’Aurora (propice aux parties de crosse) ressemblait à l’actuelle réplique de Tsiionhiakwatha de Saint-Anicet au Québec donnant l’allure d’une fortification en pieux. «Les Piquets» et son inscription cartographique des années 1600 témoignent alors que les premiers Blancs à fouler le sol d’Aurora, et par extension l’actuelle municipalité régionale de York (située entre Toronto et le lac Simcoe), étaient francophones.

Aurora (Ontario) est un enfant du chemin de fer et compte parmi ses illustres résidents le 19ème premier ministre du Canada. En 2016, sa population dépassait 55 000 habitants. Selon Statistique Canada plus de 100 différentes langues y sont parlées à la maison. Elle est sans doute la petite ville la plus cosmopolite du monde. En outre, elle abrite les bureaux de Desjardins Assurances et célèbre dans la multiculturalité la Journée des Franco-Ontariens le 25 septembre de chaque année.

Entre la carte de Jean de Brébeuf (1631) et celle de Vincenzo Coronelli (1688) deux événements marquants sont à retenir. D’abord, il y a eu le massacre des Hurons-Wendats par les Iroquois en 1649 (hommes, femmes et enfants ont été grillés à mort de façon inhumaine), puis le changement de nom du lac Oventarenk qui devint Taronto (avec un A), un mot iroquois signifiant «là où les arbres sortent de l’eau», comme un phénix qui sort des cendres.

⚜️L’intelligence de la Cour de Versailles stupéfie encore

En rétrospective, la préoccupation de Monsieur de Pontchartrain au sujet de Toronto (avec un O) coïncide parfaitement avec les origines de la métropole ontarienne. À vrai dire, il s’agit d’une acuité affinée plutôt qu’un hasard providentiel. Vers 1715, la traite des fourrures commence à prendre de l’ampleur. Aux fins d’intercepter le trafic autochtone en direction du poste de traite britannique établi à Fort Oswego, sur la rive sud du lac Ontario, à quelque cinq jours de canot plus à l’est, les forts français Douville (1720), Portneuf (1749) et Rouillé (1750) ont été bâtis à proximité de la rivière Humber.

Nous savons aussi que les clients des trois magasins du roi de France ont surnommé ces comptoirs «Fort Toronto». D’ailleurs la plaque d’interprétation du Fort Rouillé le rappelle aux visiteurs. Mais pourquoi Toronto plutôt que Taronto ? Il existe une école de pensée de plus en plus prépondérante à l’effet que les Francos de l’époque (nos ancêtres) ont voulu, avec une certaine subtilité pour ne pas animer la clientèle, se dissocier des gestes génocidaires de 1649, y compris les cruautés commises à l’égard des saints martyrs canadians dont le père Jean de Brébeuf. Si tel est le cas, Toronto serait un dérivé français du mot iroquois «Tkaronto», tout comme Canada est un dérivé de «Kanata» depuis 1535, en rapport au village de Stadacona, site de l’actuelle ville de Québec.

⚜️Le pays des Hurons-Wendats en 1632 (livre électronique pour les férus d’histoire en cliquant ici)
Au chapitre VI de son livre intitulé Le grand voyage du pays des Hurons aux confins de la Nouvelle-France dite Canada (publié à Paris en 1632), le père récollet Gabriel Sagard éclaire les internautes sur les villes, villages et cabanes de cette nation autochtone.

En ce qui concerne les fortifications de certaines villes. Il écrit en vieux français :

« Leurs villes frontières & plus proches des ennemis, sont tousjours les mieux fortifiées, tant en leurs enceintes & murailles, hautes de deux lances ou environ, & les portes & entrées qui ferment à barres, par lesquelles on est contrainct de passer de costé, & non de plein saut, qu’en l’assiette des lieux qu’ils sçavent assez bien choisir, & adviser que ce soit joignant quelque bon ruisseau, en lieu un peu eslevé, & environné d’un fossé naturel, s’il se peut, & que l’enceinte & les murailles soient basties en rond & la ville bien ramassée, laissans neantmoins une grande espace vuide (vide / libre d’obstacles) entre les Cabanes & les murailles, pour pouvoir mieux combattre & se deffendre contre les ennemis qui les attaqueroient sans laisser de faire des sorties aux occasions. »

Aurora (où je réside) est un territoire vallonné. Sa topographie compte plusieurs bons ruisseaux, des collines modérément élevées, et un certain nombre de fossés offrant une défense naturelle. Elle se situe sur la crête morainique qui sépare le bassin hydrographique du lac Ontario au sud de celui du lac Oventarenk (aujourd’hui Simcoe) au nord. Dans le canton limitrophe du Roi (King) à l’ouest, une plaque d’histoire concernant le passage de Taronto (une route pédestre que les guerriers iroquois ont emprunté en 1649 pour aller massacrer les Hurons-Wendats chez-eux), on apprend qu’en 1680, René-Robert Cavelier, Sieur de La Salle a écrit de cette crête (d’une altitude moyenne de 266 mètres) qu’elle est comme « les montagnes ». Ces terres montagneuses (plus de deux fois et demi la hauteur du cap Diamant à Québec) sont reflétées sur le drapeau d’Aurora sous la lueur brillante qui précède le lever du soleil.

Souvenez-vous que l’histoire de la petite ville d’Aurora en banlieue de Toronto remonte à la Nouvelle-France.

JP

Avec l’aimable autorisation de Jean-Pierre Bernier

 

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