Authentique ou faussaire? Je frappe aujourd’hui l’imaginaire. J’évoque la débrouillardise des aventuriers qui ont autrefois bravé l’inconnu. Qui suis-je?


Les cartes produites par Samuel de Champlain sont fascinantes : elles sont si précises que l’explorateur géographe a l’envieuse réputation d’avoir créé les premières cartes du territoire canadien jugées scientifiques.

À l’ère du GPS, difficile d’imaginer qu’il les a tracées à partir d’outils rudimentaires et de témoignages d’alliés autochtones traduits par un interprète.

En fait, l’illustre homme avait un secret : son astrolabe, un disque de laiton qui lui a été d’une utilité sans nom au début du 17e siècle, mais qui a aussi été au centre de toute une saga depuis 1867.
« Préparons la route pour ceux qui voudront suivre », a écrit Champlain. Celui que l’on surnommera le père de la Nouvelle-France n’aurait pu mieux dire, ni mieux faire.

Un captivant périple

Été 1867. Près de Cobden, un jeune homme de 14 ans défriche une terre. Ce faisant, Edward George Lee découvre un astrolabe fabriqué en France en 1603.
Que faisait l’instrument dans cette terre, entre deux lacs, aujourd’hui connus sous les noms de l’Astrolabe et de Muskrat? Le 7 juin 1613, en plein portage, Samuel de Champlain aurait-il perdu ou abandonné l’astrolabe qu’il utilisait pour tracer ses cartes?
C’est ce qu’ont cru les lecteurs des récits de voyage du célèbre explorateur, publiés pour la première fois en 1870. Après tout, dans son journal, Champlain avait noté que les portages l’avaient forcé à alléger son bagage. En plus, à partir de cet endroit, les cartes de ses explorations de la Huronie (aujourd’hui le sud de la baie Georgienne) à l’embouchure du lac Ontario sont distordues. Est-ce parce qu’il ne relève plus la latitude comme le permet l’astrolabe?

En 1990 des chercheurs règlent remettent les pendules à l’heure : Champlain n’a probablement jamais touché l’astrolabe qu’a déterré Edward George Lee. Pourquoi l’explorateur, qui notait tout dans son carnet de bord, n’aurait-il pas précisé qu’il avait laissé derrière lui son précieux outil? Et vraiment, un cartographe manierait-il un format poche de 13 cm? S’agissait-il d’un instrument d’appoint? Le scepticisme redouble devant la présence inexpliquée de gobelets possiblement liturgiques près de l’astrolabe, à sa découverte en 1867.

Une chose est certaine : du pays il en a vu, cet astrolabe trouvé dans la vallée de l’Outaouais il y a plus de 150 ans! Le cercle de laiton a traversé l’Atlantique et servi à s’orienter dans le Nouveau Monde, il a été perdu puis enfoui dans les terres de Cobden… Et après en avoir émergé, il est passé de main en main pendant 75 ans avant d’être acquis par la New York Historical Society en 1942. Aujourd’hui, le trésor est précieusement conservé dans un coffre du Musée canadien de l’histoire à Gatineau.

La construction d’un mythe

Pointe Nepean, courtoisie de la CCN

Au moment de la découverte d’Edward George Lee, le Canada moderne se cimente. On dit d’ailleurs que l’astrolabe de Champlain a servi de prétexte pour alimenter le mythe de la grande nation[1].

[1] Certains mettent même en doute l’année de sa sortie de terre, soit 1867. Il faudra attendre 12 ans pour que l’histoire de Cobden soit couchée sur papier, après avoir circulé de bouche à oreille.

S’ensuit, en 1915, l’érection d’une statue de Champlain au sommet de la grandiose pointe Nepean d’Ottawa[1], dominant la rivière des Outaouais. C’était – et c’est encore – comme si Champlain veillait sur la grande rivière qu’il avait naviguée 300 ans plus tôt – et sur le Musée de l’histoire, qui se trouve aujourd’hui tout juste de l’autre côté du pont Alexandra.

[1] À noter : la pointe Nepean connaît une première phase de réaménagement. Son réaménagement par la CCN vise à en faire un parc animé digne du 21e siècle, au cœur de la ville. Pour assurer la sûreté des lieux et la sécurité du public durant les travaux, la pointe Nepean restera fermée jusqu’à l’été 2023.

En 1948, la Commission des lieux et monuments historiques du Canada reconnaît la découverte de l’astrolabe possiblement abandonné par Champlain en 1613 comme événement historique national et aménage un monument au sud de Cobden, sur le côté est de la route 17, tout près du lac de l’Astrolabe (et, aujourd’hui, de l’attraction touristique LOGOS Land).

Lors des célébrations du centenaire de la confédération canadienne en 1967, l’astrolabe est élevé en symbole de l’histoire canadienne. On en coule des copies qui se trouveront dans des musées partout au pays, comme à Pembroke, et aux États-Unis. Et quelque 20 ans plus tard, alors que le gouvernement canadien prépare l’ouverture d’un grand musée de l’histoire, il investit 250 000 $ pour rapatrier l’instrument original.

Courtoisie du Musée canadien de l’histoire
Champlain Trail Museum

Mais dans les années 1990, le doute plane sur l’origine réelle de l’instrument, à un point tel que les autorités remettent en question le bien-fondé du monument de pierre érigé à Cobden. Par respect pour les gens de la région, le socle et la plaque restent finalement en place, mais plus rien de l’épopée n’apparaît dans la liste des désignations patrimoniales fédérales.
Ce lieu de mémoire vaut toutefois le détour – après tout, les terres de Cobden ont gardé l’astrolabe pendant plus de 250 ans. Le Musée de la piste Champlain (Champlain Trail Museum) de Pembroke aussi, puisqu’une réplique de l’objet y repose. Dans ces lieux que Champlain a réellement foulés, il symbolise la marche de nos ancêtres vers l’inconnu, et leur cran, leur force de caractère. Cet astrolabe est devenu un mythe, un symbole de la débrouillardise de Samuel de Champlain et de combien d’autres…

Parc Rotary, Penetanguishene

L’artéfact n’est revenu qu’une seule fois dans la vallée de l’Outaouais après la grande découverte de 1867. C’était en 2013, année du 400e anniversaire du premier passage de Samuel de Champlain aussi haut sur l’Outaouais. Deux ans plus tard, on célébrait le 400e anniversaire du passage de Champlain dans la baie Georgienne. Pour l’occasion, un immense astrolabe s’est élevé à l’endroit où Champlain a touché terre, aujourd’hui la ville de Penetanguishene.

Le symbole de l’astrolabe est bien ancré, en dépit de la controverse qui l’entoure. C’est le propre d’une légende.

L’astrolabe de Champlain : objet mythique, et bien sûr prétexte. Prétexte pour cimenter la nation en 1867, prétexte pour promouvoir l’unité canadienne en 1967, et aujourd’hui, prétexte pour partir à l’aventure.

Pour refaire le parcours de l’explorateur sur la Route touristique Champlain de l’Ontario.

Pour retracer le parcours de l’astrolabe, suivez ce trajet de 150 km :

Rédigé par Andréanne Joly

Search

Archives