Cet article a été rédigé par Jean-Pierre Bernier

Aurora, Ontario

Richesse faramineuse de notre patrimoine – « Aux origines de l’identité franco ontarienne », tel est le titre d’un article instructif du professeur Gaétan Gervais publié par la Société Charlevoix qui est un regroupement d’universitaires se consacrant à des travaux savants sur l’Ontario français. Lecture recommandée…

Cet historien chevronné de Notre Place rappelle aux lecteurs qu’après une rupture tranquille avec le Québec les ponts sont aujourd’hui largement « coupés et personne ne sait si, ni comment, ils seront reconstruits. La rupture de ces liens cultureIs avec Ie Québec explique l’urgence culturelle d’affirmer une nouvelle identité franco-ontarienne ». L’auteur souligne fortement que « L’identité d’une communauté se fonde sur une certaine mémoire de son passé, sur une certaine compréhension de son expérience historique » à la manière de la devise du Québec « Je me souviens ». Puis dans le mouvement d’une nouvelle direction en Ontario français, il ramène les lecteurs à la naissance de l’Amérique française, c’est-à-dire à Samuel de Champlain. En conclusion, Gaétan Gervais dit « I’identité franco-ontarienne », comme « l’identité québécoise », malgré des ruptures profondes, sera toujours et à jamais le prolongement de « I’identité canadienne-française », elle-même le prolongement de « I’identité française ». L’identité métisse est également sur le même chemin. Ainsi sommes-nous et pareillement serons-nous…

C’est à cette ligne de réflexion instructive publiée il y a plus de deux décennies que je rattache ici, humblement, un rappel connexe d’histoire de l’Ontario français.

On oublie trop souvent que l’Ontario, anciennement le Pays d’en Haut (un pays avant d’être une province), a vécu avec l’Acadie et le Québec la genèse de l’Amérique française. Dans le plus grand et le plus merveilleux des livres d’histoire sur l’Ontario français Samuel de Champlain est le premier à décrire Notre Place. Dans le tome IV de ses œuvres, le père de la Nouvelle-France nous raconte dans un vieux français sa grande expédition de 1615-1616 au pays contemporain des Francos hors Québec.

La Route Champlain (un parcours touristique) de l’Ontario s’inspire de cette grande épopée franco ontarienne. Voici quelques extraits de Champlain lui-même (contextualisés pour le voyage dans l’espace qui est le nôtre) qui sauront vous charmer : Après avoir navigué la rivière des Outaouais de Chute-à-Blondeau jusqu’à Mattawa en passant par Ottawa et Pembroke, nous arrivons à North Bay dans l’avant-midi du 26 juillet 1615 et à Nipissing Ouest un peu plus tard dans la journée. Vraiment « Dieu a donné à ces terres une grande quantité de bleuets. Leur abondance en saison est partout que c’est merveilles. Les gens du pays les font sécher pour l’hiver, comme nous faisons des pruneaux en France » (page 509)Le mercredi 29 juillet après avoir festoyé et pêché avec le peuple des Nipissings près de la rivière aux Esturgeons nous entrons dans la décharge du lac Nipissing, aujourd’hui la rivière des Français, où « je n’ai pas vu dix arpents de terre labourable, sinon des rochers. C’est un pays aucunement montagneux » (page 511).

Après avoir fait un court portage au Sault des Récollets nous découvrons la baie Géorgienne que nous baptisons « la Mer Douce » d’après son immense plan d’eau. Sur une île rocheuse, parmi 30 000 îles entre Key River et Parry Sound, nous faisons la connaissance d’une nouvelle nation autochtone. Nous les appelons les Cheveux-relevés car « ils étaient mieux peignés que nos courtisans » au Château de Versailles ce qui leur donnait « une belle apparence » (page 512)Le chef nous décrit son pays en illustrant ses contours dentelés « avec du charbon sur une écorce d’arbre ». Il nous explique qu’il est venu sur cette île avec 300 hommes « pour faire sécher des bleuets qui leurs serviront de manne en hiver » (page 513). Nous lui donnons une hache en guise de remerciement et de fraternité. Puis nous reprenons la route, c’est-à-dire le canotage, vers Penetanguishene où nous attendent le père Joseph Le Caron et une douzaine de soldats français au grand village fortifié de Carhagouha (au 1042 chemin Cedar Point près de Lafontaine) avant de se rendre au lac Simcoe et de là à Kingston sur le lac Ontario.

Après avoir passé une partie de l’hiver à Cahiagué (Orillia) et l’autre à Carhagouha, Champlain accompagné du récollet Le Caron visitent au printemps 1616 les gens du Tabac qui sont des consommateurs friands de tabac plutôt que des cultivateurs de tabac ou des négociants en tabac. À Collingwood et à Creemore au pays des Pétuns Champlain spécifie « La région regorge de collines et de clairières qui en font un pays agréable ». Ce peuple est étroitement lié aux Hurons par fraternité, dit-il.

En 1632 Champlain publie à Paris sa célèbre carte des territoires connus de la Nouvelle-France qui à l’époque se terminaient au Grand lac (lac Supérieur) et à la nation des Puants au fond de la baie Verte (Green Bay au Wisconsin). Avec deux de vos doigts vous pouvez élargir les endroits qui vous intéressent. Le numéro 86 indique Carhagouha, le berceau de l’Ontario français, 87 le portage entre la rivière Mattawa et North Bay, 88 la rivière des Français, et 90 les chutes du Niagara. Alors que l’emplacement de Kingston est dévoilé par les mots « Lieu où il y a beaucoup de cerfs », les mots « Chasse des caribous » révèlent celui de Key River (voir aussi photo). On y voit parfaitement la région des 30 000 îles de la baie Géorgienne et sur la rive opposée les contours dentelés du pays des Cheveux-relevés et des gens du Tabac (Pétun) tout au long de la péninsule Bruce. Notez que contrairement aux habitations françaises de Port Royal, l’île Miscou sur la péninsule acadienne près de Caraquet, Cap Fourchu, Tadoussac et Québec, les habitations de Trois-Rivières (fondée en 1634) et Montréal (en 1642) n’apparaissent pas spécifiquement sur la carte de 1632 dressée par notre père bien-aimé.

Il est frappant en comparaison avec l’Est de la Nouvelle-France de voir à l’Ouest de la rivière des Outaouais séparant Québec et l’Ontario, la multitude des habitations autochtones représentées par des dessins de bâtiments, maisons longues, cabanes au Canada et autres. Champlain a définitivement pris en compte ces nombreux peuplements amérindiens. La publication de sa carte et le ouï-dire ont sûrement incité plusieurs coureurs des bois et voyageurs de langue française, avant l’arrivée des premières « filles du roi » de France le 22 septembre 1663, à venir prendre épouse dans les Pays d’en Haut. En conséquence, il n’est pas surprenant que le métissage, promu par Champlain, soit une identité commune à beaucoup de Franco Ontariens.nes…

JP

Avec l’aimable autorisation de Jean-Pierre Bernier

Search

Archives