«Un pays fort plaisant»
À partir de 1603, Samuel de Champlain parcourt les côtes de ce qui deviendra l’Acadie et la Nouvelle-Angleterre, emprunte la rivière Richelieu, remonte le cours de l’Outaouais, poursuit sa quête jusqu’en Huronie et, de là, traverse le Saint-Laurent pour se rendre dans le territoire aujourd’hui états-unien. Son objectif : trouver l’endroit idéal pour créer une Nouvelle France.
Que perçoit l’explorateur dans ce Nouveau Monde? La réponse se trouve dans ses récits de voyage, où Samuel de Champlain a dépeint chacun des lieux qu’il a visités, ce qui correspond à une bonne partie de la Nouvelle-France[1].
Ce qu’il a vu au cours de ses explorations lui a plu :
« Le païs est fort plaisant en son Printemps, il est chargé de grandes & hautes forests, & remplies des bois de pareilles especes que ceux que nous avons en France. […] Il y a aussi plusieurs belles & grandes rivieres […] accompagnez d’un nombre infiny de belles prairies, lacs, & estangs, par où elles passent, dans lesquels y a abondance de poissons, & force isles, la pluspart desertes, qui sont délectables à voir, où en la pluspart il y a grande quantité de vignes, & autres fruicts Sauvages. »
Champlain, rêvant de créer une nouvelle France, relève les sites de chasse, note où la pêche est abondante, remarque où poussent les fruits… Il prévoit ce qui pourra soutenir une colonie et nourrir les colons.
Le récit de sa longue expédition vers le pays des Hurons en 1615-1616 — devenue la Route touristique Champlain de l’Ontario — est tout aussi détaillé. À sa lecture, on reconnaît les caractéristiques de certains paysages restés inchangés depuis.
L’Outaouais, de Prescott-Russell à Mattawa en passant par Ottawa[2]
Lorsque l’explorateur remonte pour la première fois la rivière des Outaouais en 1613, il espère trouver cette fameuse mer du Nord, qu’un de ses guides prétend avoir atteint en suivant ce cours.
Dans ce premier récit de voyage en territoire maintenant ontarien, Champlain observe la «grande rivière» (traduction de l’algonquin Kitchesippi) et ses affluents, qu’il trouve splendides et larges. La rivière Petite-Nation, par exemple, «est fort plaisante, à cause des belles isles qu’elle contient, & des terres garnies de beaux bois clairs qui la bordent, la terre est bonne pour le labourage». Dans la rivière Rideau, «il y a une cheute d’eau admirable : car elle tombe d’une telle impetuosité de 20 ou 25 brasses de haut, qu’elle faict une arcade, ayant de largeur prés de 400 pas.»
Champlain parle bien des chutes Rideau d’Ottawa, de nos jours coiffées de barrages pour régulariser le niveau des eaux. Depuis, la Rideau comme l’Outaouais se sont transformés avec l’apparition d’écluses et de barrages.
Dès Ottawa, un défi attend le découvreur : les rapides s’imposent. Champlain aime leur «merveilleux bruit», mais se méfie des «gros bouillons» et de «l’aspreté des rochers» que la rivière lui présente maintenant. Aurait-il pu deviner que, quelque 400 ans plus tard, on surnommerait la vallée de l’Outaouais la capitale de l’eau vive, et que les amateurs de rafting afflueraient pour vivre des sensations fortes et une expérience mémorable – dont lui se serait certainement passé?
Heureusement, les îles «remplies de vignes, noyers & autres arbres aggreables» permettent un peu de répit. Qui plus est, les portages — certains s’étirent sur une lieue et demie, soit près de 5 km — permettent d’éviter ces eaux agitées. Au nord d’Ottawa, les rapides sont si nombreux que pour les éviter, le convoi contourne l’Outaouais par l’ouest, en suivant la rivière du Rat-Musqué (Muskrat), que l’on atteint aujourd’hui en passant par les lacs Champlain Trail et de l’Astrolabe, «parmy d’assés beaux païs», relève-t-il, «où il y a de petits sentiers battus, par lesquels on peut passer aysément».
Champlain commence bientôt son séjour à l’île aux Allumettes, qu’il appelle alors l’île des Algoumequins. Il y remarque les jardins de citrouilles et de pois. Une mauvaise nouvelle l’attend : la mer du Nord n’est pas accessible. Après avoir franchi tous ces rapides et survécu aux «Mousquites qui nous molestoient fort, l’importunité desquelles est si estrange qu’il est impossible d’en pouvoir faire la description», il renonce donc à cette expédition. Deux ans plus tard, il remontera le cours des Outaouais avec, cette fois, l’intention de se rendre en Huronie.
De la rivière des Outaouais à la baie Georgienne[3]
Samuel de Champlain revient donc dans la région en 1615. Cette fois, c’est pour rencontrer ses alliés en pays huron, au sud de la baie Georgienne.
Le nouveau parcours qui l’attend s’avère aussi difficile que le tronçon qui le précède. Le territoire séparant les Outaouais et la baie Georgienne est «malaggreable», stérile et flanqué d’immenses rochers, note le prospecteur de terres arables déçu.
Et que dire des cours d’eau? Dans la rivière Mataouan (ou Mattawa), les saults s’enchaînent. Sur terre, sapins, bouleaux et chênes rendent le passage difficile. Champlain ne mâche pas ses mots : les terres ici sont «affreuses & désertes». De l’autre côté du lac Nipissing, la rivière des Français dévoile un pays «encores plus malaggreable que le précédent», avec ses rochers où s’accrochent les pins, sans sol labourable qui vaille. Heureusement, les douceurs abondent sur les rives. «Je vous asseure qu’il se trouve le long des rivieres si grande quantité de blues, qui est un petit fruict fort bon à manger, & force framboises, & autres petits fruicts, & en telle quantité, que c’est merveilles», écrit-il.
Champlain n’a pas vu le caractère inaltérable de ces deux cours d’eau, aujourd’hui désignés comme rivières du patrimoine canadien et protégés par des parcs provinciaux aquatiques. Pourtant, les canoteurs et les amateurs de plein air pourchassent ces décors imprenables. On y loue des canots, et les sentiers pédestres empruntent les portages anciens — ceux-là mêmes que Champlain a foulés, au plus grand bonheur des friands d’histoire.
L’explorateur aura toutefois relevé le potentiel de la rive septentrionale du lac Nipissing. C’est bien là l’endroit qu’il préfère à cette étape du voyage. Le gibier foisonne dans les beaux boisés et le lac est poissonneux. La cueillette, la pêche et la chasse nourrissent de 700 à 800 âmes, observe-t-il. La traite est déjà bien ancrée.
Champlain serait sûrement bien heureux de savoir qu’aujourd’hui les francophones vivent nombreux sur le bord de la rivière aux Esturgeons — dans le village de Sturgeon Falls, où l’on peut cueillir des petits fruits à la ferme de la famille Deschâtelets, Leisure Farms, et visiter un poste de traite, le musée Sturgeon River House.
Enfin, après un passage obligé par la rivière des Français, Champlain voit apparaître le lac Attigouautan (le lac Huron), qu’il nomme la Mer douce, pleine de «Truittes qui sont monstrueusement grandes, […] des Brochets au semblable, & certaine manière d’Esturgeon, poisson fort grand, & d’une merveilleuse bonté».
Un nouvel univers s’ouvre pour l’observateur, «cestuy-cy estant fort beau», «au regard d’une si mauvaise contrée, d’où nous venions de sortir».
Au sud de la baie Georgienne[3]
Début du mois d’août 1615 : voici Champlain arrivé au sud de la baie Georgienne. Il séjourne ici quelques semaines, part en expédition, puis revient quelques mois. Il profite de son passage pour arpenter et encore décrire la région et pour noter ce qu’il observe chez ses hôtes Hurons Wendats : leur organisation, leurs mœurs…
Il chemine de village en village. Il y en a 18 dans la région, habités par 2000 personnes : baie de Matchidache, baie du Tonnerre, Toanché, Carmaron, Carhagouha. L’explorateur se déplace aussi vers l’ouest, en territoire pétun. «Ce pays est tresbeau, & bon, par lequel il faict beau cheminer», écrit-il.
Les collines, les ruisseaux rendent le terroir agréable et rappellent à Champlain la Bretagne et les arbres, ceux de la France. Les terres sont fécondes. Il voit des vignes, goûte aux prunes, aux framboises, aux fraises, aux petites pommes sauvages, aux noix, aux merises et aux cerises. Les sapinières sont l’habitat de perdrix et de lapins. Avec le maïs, les citrouilles et les herbes, les récoltes sont variées. Champlain est fasciné par ce terroir agréable. C’est une terre d’abondance, où les récollets et les jésuites éliront domicile.
De nos jours, les lieux demeurent aussi attrayants. Il y a de longues plages sablonneuses comme celle de Wasaga, la plus longue en eau douce au monde, et de petites plages municipales, à l’ouest. De bonnes tables mettent les produits du terroir à l’honneur. On déguste la tarte aux pommes dans l’Apple Pie Trail ou les bières artisanales et les cidres dans le parcours Saints & Sinners. On s’amuse dans les sites de plein air aménagés dans les montagnes, les marais, les grottes et les forêts, à Blue Mountain, Scenic Caves et au marais Wye Marsh. Au détour d’une route de campagne, on croise des lieux historiques et on visite un village reconstitué à l’Huronia Museum et la mission de Sainte-Marie-au-pays-des-Hurons.
À travers ces décors qui appellent à la villégiature, on célèbre toujours la présence française. Bien sûr, les francophones sont présents, en particulier à Lafontaine et à Penetanguishene. Mais les lieux de mémoire et les sites historiques sont le reflet de cette longue présence, que ce soit celle d’Étienne Brûlé ou de Samuel de Champlain, des récollets et des jésuites — qui connaîtront d’ailleurs un sordide sort et deviendront connus sous le nom des Saints-Martyrs-Canadiens —, des voyageurs et ensuite des agriculteurs. On trouve souvent, au détour d’une route, une plaque qui rappelle que des moments marquants de l’histoire du Canada français se sont déroulés là.
Les rivières Trent et Severn jusqu’au fleuve[3]
Revenons à 1615. Le devoir appelle Champlain : en septembre, il doit quitter la Huronie pour mener une expédition militaire en territoire aujourd’hui états-unien. Son ton change, d’ailleurs : ses descriptions sont très sommaires.
Le commandant avance dans un véritable labyrinthe d’eau : pour se rendre au fleuve Saint-Laurent, qu’il traversera en direction sud, il parcourt le lac Couchiching, le lac Simcoe, le lac à l’Esturgeon (Sturgeon Lake), la rivière Otonabi, le lac Rice, la rivière Trent et la baie de Quinté, qui se décharge dans le lac Ontario. Au passage, il voit les splendeurs du fleuve, avec ses grandes îles et ses plages de sable. Au retour, il remonte probablement par la rivière Cataracoui, qui baigne l’actuelle Kingston.
Même si ses descriptions sont très sobres, elles révèlent la beauté des étendues et l’abondance des lacs et des forêts. «Il semble que les arbres ayent esté plantez par plaisir», note-t-il. La chasse est abondante, il le constatera par lui-même. Blessé au combat, il est ramené par ses alliés vers la Huronie plutôt que vers Québec, où il a fondé une colonie, il y a 11 ans. Une fois soigné, il participe à une expédition de chasse au cerf, à l’ours, au castor, à l’outarde, au canard et à la grue blanche.
Entre les lacs Couchiching et Simcoe, il observe une «quantité de pallissades, qui ferme presque le destroit, y laissant seulement de petites ouvertures, où ils mettent leurs fillets, où le poisson se prend». Ces barrages se dressent toujours. On les observe en visitant les Narrows d’Orillia ou en empruntant la Ramara Trail. Et on continue de parcourir ces cours d’eau et de chasser dans les terres de la région de Northumberland-Kawarthas. Les pourvoiries et les centres de villégiature sont nombreux. On loue facilement un chalet flottant pour parcourir ce qui est devenu la voie navigable Trent-Severn, avec ses écluses centenaires, ascenseur ou ber roulant. Sur l’eau, on vit dans l’air du temps.
Planifier son séjour
Pendant son passage dans «les pays d’en haut», comme il les appelle, Champlain a tantôt été charmé, tantôt complètement désenchanté. Quoi qu’il en soit, on aime encore ce qu’il a aimé et on profite à plein de ce qui lui a déplu. C’est la raison d’être de la Route touristique Champlain de l’Ontario. Rafting, canotage, farniente et bonne chère, mêlés à des centres d’interprétation comme le Musée canadien de l’histoire de la région d’Ottawa, le musée Champlain Trail de Pembroke, le centre d’interprétation du parc de la rivière des Français, les musées-villages Sainte-Marie-au-pays-des-Hurons et Huronia de Midland, le Musée canadien du canot de Peterborough… Tant d’occasions de s’émerveiller… et de tenir un carnet de voyage nourri d’images et d’observations, comme l’a fait le père de la Nouvelle-France, il y a 400 ans.
Rédigé par Andréanne Joly
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[1] Samuel de Champlain, Œuvres de Champlain, publiées sous le patronage de l’Université Laval par l’abbé C.-H. Laverdière, M. A. Tome I. Voyage de 1613. Chapitres III à V; Samuel de Champlain, Œuvres de Champlain, publiées sous le patronage de l’Université Laval par l’abbé C.-H. Laverdière, M. A. Voyages et descouvertures faites en Nouvelle France, depuis l’année 1615 jusques à la fin de l’année 1618.
[2] Samuel de Champlain, Œuvres de Champlain, publiées sous le patronage de l’Université Laval par l’abbé C.-H. Laverdière, M. A. Tome I. Voyage de 1613. Chapitres III à V.
[3] Samuel de Champlain, Œuvres de Champlain, publiées sous le patronage de l’Université Laval par l’abbé C.-H. Laverdière, M. A. Voyages et descouvertures faites en Nouvelle France, depuis l’année 1615 jusques à la fin de l’année 1618.
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